samedi 8 mars 2025

Flagellation

 
Je fais un gros travail de réparation et d'entretien sur un vélo de ville. Comme il se doit je propose un devis avec un déroulé comme dans un rêve. Comme dans un tuto Youtube. Bien sûr lors de la réparation je me prends le mur du réel mais comme c'est quasi quotidien je me dis qu'il finira par tomber (faudrait quand même que je compte les commotions).

Toujours est-il que je rends le vélo avec la sérénité du travail exécuté dans les règles de l'art. Soi dit en passant toute la saveur de cette expression réside dans le "exécuté" je trouve.

Quelques jours plus tard, le vélo et son proprio sont de retour. Il y a un craquement très net au pédalage. On convient d'un nouveau rendez-vous que je règle ça. Je file aussitôt dans l'arrière-boutique respirer un peu d'air vicié dans un sac en papier parce que j'ai honte d'avoir laissé passer ça.

Le moment venu, je reprends tout à zéro. Je démonte toute la transmission j'ai une hypothèse à éclaircir, je soupçonne l'attache du cache-chaîne d'être la cause de mes ennuis et de l'heure de travail gratuit qui s'annonce. Je remonte tout dans les règles de l'art.

Chier, ça craque. C'est moi que j'ai envie d'exécuter. 

Retour sur le pied d'atelier et tant pis pour mes lombaires, après tout même sans elles je peux m'asseoir sur mon amour-propre. Il suffit de se laisser tomber.

Je démonte la roue arrière, je graisse le moyeu que j'avais trop promptement déclaré exempt de toute responsabilité dans cette affaire. Je sors la graisse Motorex des grandes occasions.

Chier, ça craque.

Je change les pédales, les roulements sont à la peine.

Chier, ça craque. Ainsi que mes lombaires.

Je demande un délai.

Je démonte tout, c'est peut-être une malfaçon d'une pièce détachée. Changement du boitier et du pédalier qui pourtant sont neufs et de qualité. On va voir ce qu'on va voir, je vais peut-être le lanceur d'alerte qui va dévoiler un scandale qui occasionnera un rappel massif de toute une série de produits.

Chier, ça craque. L'industrie japonaise est innocente, c'est ma bêtise qui est massive.

Je contacte un ami cadreur parce que je pense à un problème au niveau du cadre et à une fêlure de fatigue. On échange diverses pistes de recherche. Je suis pas loin de développer une nouvelle branche de la théorie quantique : le battement d'aile d'un papillon dans un atelier de soudure de Taïwan fait trembler la main de l'ouvrier/ère de soudure et entraîne un ouragan cérébral dépressif dans un petit atelier à l'ouest de l'Europe. C'est le chaos et pas qu'en théorie.

Je recrute les libraires de passage, nous voilà dans la rue pour profiter de la clarté sans égal du soleil. Eux appuient sur les pédales, vélo à l'arrêt, et je me vautre au ras du sol dans l'urine de clébards, l'oreille collée aux tubes essayant de localiser le bruit.

J'en viens à penser que le problème est peut-être au niveau d'une patte arrière. Par une étrange intuition j'ouvre le mécanisme de blocage rapide et je le serre un poil plus que ce qui me semble nécessaire. Je le referme.

Plus de bruit.

Test routier.

Plus de bruit.

Au moins quatre heures éparpillées sur plusieurs jours pour un blocage rapide qui au contraire du mécano aime travailler sous un peu plus de pression que ne le veut l'usage.

 J'ai envie de me flageller et puis je me ravise parce que c'est un peu ce que je viens de faire. À défaut d'être un bon enquêteur je suis mon propre inquisiteur.

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