Dans vingt ans tout au plus, songea-t-il, il serait devenu une fois pour toutes impossible de répondre à cette simple et colossale question : "La vie était-elle meilleure avant la révolution qu'aujourd'hui ?" En pratique, c'était déjà impossible, puisque les quelques survivants épars de l'ancien monde étaient incapables de comparer une époque à une autre. Ils se souvenaient bien d'un million de choses inutiles, une querelle avec un collègue, la recherche d'une pompe à vélo égarée, l'expression sur le visage d'une sœur morte depuis longtemps, les tourbillons de poussière d'un matin venteux soixante-dix ans auparavant ; mais tous les faits importants restaient hors de leur champ de vision. Ils étaient comme des fourmis qui ne voient que les petits objets et non les grands.
George Orwell, Mille neuf cent quatre-vingt-quatre, trad. de l'anglais par Celia Izoard, éditions Agone.
Peut-être, la seule occurrence du champ lexical du vélo dans le bouquin de George Orwell ? Malgré mes nombreuses relectures elle m'avait toujours échappé. Dans mon délire bigbrotherien d'exhaustivité et de contrôle total de tout ce qui touche au vélo c'était une lacune à combler.
L'extrait provient de la nouvelle traduction proposée par les éditions Agone (traduction nettement plus canon à mon avis que celle éditée récemment par Gallimard) à l'occasion de l'entrée de l'œuvre d'Orwell dans le domaine public.
Cet ouvrage (que bien des droitard-e-s essaient désespérément de s'approprier) est évidemment disponible auprès de mes camarades des Nuits Bleues. Il y a même la version de chez Gallimard en stock, c'est dire la profusion qui règne dans les rayons de la librairie.
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