mercredi 29 janvier 2020

Libres d'obéir


Je partage avec vous quelques lignes bien senties sur un thème qui m'est cher : l'aliénation au travail. C'est extrait de Libres d'obéir un ouvrage d'histoire récemment publié qui revient notamment sur le parcours de Reinhard Höhn intellectuel et fonctionnaire nazi qui a réussi à retomber sur ses pattes sans encombres dans l'après-guerre en fondant un institut de formation florissant. Il a pu continuer à y développer et diffuser ses méthodes et sa théorie du management. Je recommande très chaudement cet ouvrage d'une grande densité de contenu mais très simple d'accès.

L'idéal, comme chez Rousseau déjà, se révélait être le travailleur indépendant — l'horloger ou le lapidaire jurassien, le producteur libre ou l'artiste, chantés par Proudhon, et chers à son compatriote Courbet, qui partageait ses idées. Ces auteurs et ces idées n'ont cessé d'inspirer des pratiques alternatives, des coopératives égalitaires aux reconversions rurales, en passant par les retrouvailles de cadres lassés par leur aliénation avec une activité artisanale enfin indépendante. Une Arcadie an-archique, délivrée de la subordination et du management, qui n'est pas un paradis pour autant. La réalité du travail, de l'effort à fournir, d'une certaine anxiété face au résultat, demeure, mais sans l'aliénation. [...] On se situe ici aux antipodes des structures, des idéaux et du monde de Reinhard Höhn, auquel on peut préférer Hegel : le travail humain, c'est le travail non aliéné, qui permet à l'esprit de se aliser et de se connaître par la production d'une chose (res) qui l'exprime et qui lui ressemble — pâtisserie ou bouture, livre ou objet manufacturé — et non cette activité qui réifie l'individu, le transforme en objet « ressource humaine », « facteur travail », « masse salariale » — voué au benchmarking, à l'entretien d'évaluation et à l'inévitable réunion Powerpoint.

Johann Chapoutot, Libres d'obéir, le management du nazisme à aujourd'hui, Nrf essais, 2020.

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