vendredi 22 février 2019

Genoux écorchés


Quand j'étais petit, je chargeais mes frondes de loppi, des scories noires, des restes d'activité sidérurgique de l'âge étrusque qui ressemblaient à des morceaux de charbon consumés et vitrifiés, probablement travaillés dans les simples fours à fusion découverts par les archéologues dans les champs entourant l'agglomération. J'ai aussi participé, juste derrière chez moi, à des courses de cross à bicyclette sur des collines noires de loppi, les seules qui avaient survécu à une nouvelle refonte durant la Seconde Guerre mondiale, quand on avait besoin d'acier, même de mauvaise qualité, pour la guerre et les bombes. Sur ces loppi, vitrifiés et donc coupants, et sur cette terre brune, de provenance industrielle extrêmement nocive bien qu'elle soit classée inerte , les pneus de ma bicyclette blanche, puis ceux du nouveau vélo, engin de cross orange, furent lacérés plus d'une fois. Et mes genoux aussi s'y blessèrent.

Ceci est extrait d'un ouvrage d'Alberto Prunetti. Il retrace la vie de son père, Renato, soudeur itinérant au sein de l'industrie pétro-chimique de l'Italie d'après-guerre. C'est la (trop) banale histoire d'un père qui travaille dans des conditions de travail périlleuses et toxiques et qui sera victime de l'amiante. Sachant qu'un ouvrier dispose d'une espérance de vie moindre de 13 ans par rapport à un cadre, personne ne sera surpris d'apprendre que Renato n'a guère pu jouir de sa retraite. En contrechamp, l'auteur évoque bien sûr la culture d'une classe ouvrière qui passe elle aussi rapidement du sommet de sa force à la découverte de la précarité. Ce livre est un témoignage touchant d'une époque révolue très proche mais qui par bien des aspects pourra nous sembler déjà lointaine. Je doute ainsi que beaucoup d'enfants, en France ou en Italie, disposent aujourd'hui d'une liberté totale d'aller et venir hors de tout contrôle parental.

Ce livre est poignant et a la classe (ouvrière) d'un Putain d'usine de Jean-Pierre Levaray ou d'Ouvrière d'usine de Sylviane Rosière.

Il reste un exemplaire sur les étagères de mes collègues libraires !

Amianto, une histoire ouvrière, Alberto Prunetti, trad. Serge Quadruppani, éditions Agone, 2019.

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