lundi 7 janvier 2019

Dopage littéraire


Il m'a fallu passer outre le côté convenu du titre de cet ouvrage. Suremployé, la simple présence du mot "éloge" a tendance à me faire fuir. En général, ce terme sert de cheval de Troie pour, au choix, réhabiliter une idée dégueulasse et réactionnaire ou donner du lustre à une culculterie inoffensive.

Cycliste à mes heures perdues, je reconnais qu'il faut parfois dépasser une certaine souffrance pour atteindre la félicité et je me suis astreint à ouvrir ce petit ouvrage pour en parcourir quelques lignes. Je l'ai reposé et m'en suis retourné au rayon bédés. En me dirigeant vers la caisse je suis passé relire quelques bribes. Et j'ai abdiqué. Je l'avoue sans fard, j'ai acheté un livre au rayon "Sports : Cyclisme".

En entamant ce livre j'ai eu peur d'avoir à me coltiner la énième ressucée de la DS de Roland Barthes, à savoir de beaux exercices de style qui masquent une grande pauvreté de contenu. Je me suis fourvoyé et j'ai pris plusieurs leçons d'esthétique que ne dédaigneraient pas des étudiant-e-s en art.

C'est par petite touche que Jean Cléder dévoile son amour pour le cyclisme sur route. La table des matières est éloquente. Extraits : "Contre le vent", Homme-machine", "De tous les temps", "Par tous les temps". Jean Cléder est un universitaire qui cherche patiemment à réconcilier culture savante et culture populaire. Il y réussit parfaitement grâce au cyclisme cet objet tout à fait adéquat avec sa dramaturgie de routes de cols engorgées de camping-cars.

L'auteur est particulièrement sensible aux épopées des années Eddy Merckx. Il voue à ce dernier un culte quasi-religieux tellement sa figure est omniprésente. C'est même le seul coureur qui ait droit à son propre chapitre. Par ricochet, on sent un moindre attachement au cyclisme contemporain.

Cet éloge a le grand mérite de remettre l'ambivalence au cœur de la chose cycliste, en particulier celle des spectat-eurs/rices que nous sommes qui voulons un spectacle dantesque exempt de dopage et libre de tous intérêts mercantiles.

En guise de conclusion de cette chronique décousue comme un Paris-Roubaix, je vous glisse ce qui reste un de mes passages préférés :

L'apparition des appareils électroniques sur les vélos (commande du dérailleur, par exemple, sans parler bien sûr des moteurs) est une sorte de paradoxe, ou d'oxymore, le symptôme également d'une nostalgie : cette sorte de progrès donne le sentiment que le vélo (ou ses praticiens) envie la technologie de machines plus sophistiquées, et rêve peut-être aussi d'un dépassement par l'accessoirisation, des limites musculaires.

Jean Cléder, Petit éloge de la course cycliste, Editions François Bourin, 2018, 14€.

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