samedi 24 juin 2017

Le cadavre pédale encore


La littérature cycliste sent facilement la naphtaline. Comme si son âge d'or ne pouvait que concorder avec un passé héroïque mais révolu. Aujourd'hui, on reproche souvent au cyclisme d'être mécanique. L'approche scientifique et technique du sport l'aurait aseptisé, le privant de tout panache. Les coureurs seraient des robots téléguidés via l'oreillette. Des pions sans vision stratégique et vides de tout esprit tactique. Alors forcément ce cliché ne laisse guère de place au rêve. Les plumitifs peinent à forger leurs mythologies. Personnellement, je trouve symptomatique et inquiétant que notre époque invoque le spectre d'Antoine Blondin à tout bout-de-champ en guise d'exemple de belle écriture sur la vélo. Permettez moi de penser qu'au sortir de la guerre, il aurait du rejoindre pas mal de monde dans les poubelles de l'histoire. Je ferme la parenthèse.

Olivier Haralambon va fortement déplaire aux nostalgiques. Il déboule avec un extraordinaire recueil de textes sur le cyclisme contemporain qui s'avale plus vite qu'une étape de plaine et qui prouve que le cyclisme professionnel n'est pas réductible à un spectacle machinal. Cet écrivain, au passé de coureur cycliste, dépeint un cyclisme charnel pour ne pas dire érotique. Il aura fallu attendre tout ce temps pour que quelqu'un rappelle une évidence : le cycliste sent d'abord la route avec la partie la plus charnue du corps, le cul. Explication triviale mais non dénuée de sensibilité. Il dissèque un peloton plus proche du banc de poissons que d'une armée en marche. Il pose un regard tendre sur ces corps façonnés par les kilomètres et meurtris par les chutes et les privations. Il guette avec appétit les signes ténus qui distinguent un coureur qui a du style de ses camarades. Il soutient avec beaucoup de conviction que la performance se vit plus qu'elle ne se mesure. Pour faire bref, un cyclisme orgiaque avec de grandes jouissances baignées de soleil mais aussi les vomis au bout de la nuit. A prendre ou à laisser.

Le propos est servi par une écriture sensuelle et précise qui navigue entre souvenirs d'enfance, pensées philosophiques et poésie brute : « J'ai sué, pleuré, craché, ri, joui, bavé, saigné parfois, sur l'asphalte et la campagne. J'ai violemment aimé le vélo et la course cycliste parce qu'ils m'ont donné une forme de confiance dans l'immensité sans fond de la vie, dans la verticalité du temps. Sans lui, sans eux, je n'aurai jamais eu le moindre sentiment de l'éternité – d'une éternité non pas mythologique, mais vécue. »

Il est toujours rassurant de constater que le cyclisme, pas plus que sa littérature ne sont morts.

Olivier Haralambon, Le coureur et son ombre, Premier Parallèle, 2017.

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