Voici à quoi ressemblait jeudi l'atelier ainsi que mes humeurs.
Ma journée avait bien démarré. J'avais dérogé à l'écoute de l'émission radiophonique quotidienne de philosophie. J'avais opté pour une leçon de cynisme moderne à base de morceaux de rap des années 90. Je reste persuadé que, s'il avait vécu à cette époque, Diogène aurait porté en survêt' et aurait lancé ses piques depuis le capot de sa Golf VR6. Au milieu d'une punchline lancée avec un bel accent marseillais me voilà plongé dans le silence et le noir. Je me dirige vers le compteur, accusant ma fascination pour les éclairages industriels trop gourmands. Le disjoncteur est pourtant sagement figé sur le "1".
Aïe.
Il règne dehors une forte agitation autour de la mini-pelle qui creuse une tranchée pour le gaz. La scène ressemble furieusement au jour où la même équipe de travaux publics avait perçé une canalisation d'eau. Le geyser était impressionnant mais rapidement tari. Je m'approche du chef de chantier qui m'informe qu'"il n'y a plus de jus". Je réponds un peu narquois que j'avais remarqué et que je préfèrerai savoir pour combien de temps. "Bonne question, je sors mon joker !", réplique-t-il tout aussi narquois.
Aïe.
Je comprends que cette coupure n'était pas planifiée. Décidement les dents de la pelleteuse sont parfaitement aiguisées. Plutôt que rester dans le noir à le broyer, je ferme l'atelier et file au bar d'à côté faire le plein de caféine. Le bar en question est lui aussi plongé dans l'ombre. L'équation est simple : sans jus, pas de jus. Je passe mon chemin. Tant qu'à traîner autant gagner la sandwicherie tenue par une amie. A cause nos horaires concordants j'ai rarement l'occasion de m'y poser. Argh, c'est fermé. J'ai tout du loser. Autant rentrer à l'atelier juger de l'ampleur des dégâts.
A l'angle de la rue, j'alpague un des gars d'EDF. Je dois bien être le centième du pâté de maisons à lui poser la question fatidique : "Quand est-ce qu'on peut espérer avoir le courant ?". Il prend le temps de m'expliquer qu'il ne sait pas trop quand aurait lieu le retour à la normale, mais qu'il va dégrouper une partie du réseau pour que d'ici 30 minutes ce bout de rue soit à nouveau alimenté. J'esquisse un sourire, malheureusement sa main pointe alors la rue du Mail. J'évoque le sort de la rue Maillé. "Pas avant 14 ou 15 heures, désolé...".
Aïe.
Ce genre de phrases me fait penser au fatal mañana, sud-américain. Je me rappelle que le morceau de rap que j'écoutais il y a un peu plus d'une heure s'appelle "Demain c'est loin". Je sens que la leçon de philosophie va tourner au châtiment psychologique et corporel.
Je rouvre l'atelier, on y voit goutte. Je tergiverse mais décide de rester ouvert. J'essaie tant bien que mal d'expédier quelques réparations simples. J'investi un peu la librairie pour profiter au mieux de la lumière de cette journée grisâtre. Je bosse à genoux, ça me rappelle le temps où je n'imaginais même pas que réparer des vélos puisse se faire sans adopter des postures ridicules. Le chantier bat son plein et ses bruits emplissent l'atelier. J'ai droit à un ou deux sarcasmes de la part des ouvriers. Je vais discuter un peu pour leur expliquer que ma journée est presque foutue et que je ne retrouverai le sens de l'humour que demain. Je suis pédagogue, j'aborde le côté relatif du temps : "Demain c'est loin".
Aïe.
Je prends doucement mes marques, je fais beaucoup d'aller-retour pour chercher les outils. J'essaie d'être plus méthodique que d'habitude, je ne peux pas me permettre d'en semer un peu partout dans l'atelier. Je range très régulièrement mes outils sur le tableau. Mine de rien, j'abats plus de taf que prévu. Par contre, plongé dans le noir, le "21" semble fermé et quelques cyclistes passent leur chemin sans que je puisse les interpeller. Je réalise aussi que le téléphone, parce que branché sur la box, restera muet. La totale. Rien de tel pour me foutre en rogne.
Vers 15 heures, je m'autorise à aller voir où en est la réparation de la ligne électrique. Il sont deux à trimer. Leur flegme m'impressionne. J'avance un bête "Alors ?". Réponse : "Pas avant 18h". Traduction : mañana.
Aïe.
J'abandonne les éléctriciens dans leur tranchée, j'évite les ouvriers qui marnent au fond de leurs boyaux. Je regagne la pénombre de mon bunker. Un vrai planqué mais ça ne m'empêche pas de déprimer.
Vers 18h rien ne se passe. De guerre lasse je décide d'appeler un client pour avancer le moment où il va passer reprendre son vélo. Je prévois de fermer dans la foulée et d'aller me faire pendre ailleurs. De toutes façons avec la tombée du jour je ne peux plus rien faire du tout. A peu près deux minutes avant qu'il ne se pointe, la fée électricité fait une apparition lumineuse. Il est 18h30, la journée reprend son cours presque normal. Je vais féliciter les électriciens, je leur ferai bien un bécot à ces deux gros dégueulasses maculés de boue.
Yeah !
Les mauvaises langues diront que c'est bien fait pour punir un anti-nucléaire convaincu comme moi. Je les imagine entamer le refrain du "nucléaire ou la bougie". Qu'ils tremblent, la réalité est bien pire, dans le petit monde de mon atelier il n'y a pas une seule bougie, fusse-t-elle d'anniversaire.
Ok, "Demain c'est loin" mais la vache, "Aujourd'hui c'est long".
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4 commentaires:
J'ai trouvé de quoi colorer tes après-midi obscurs : http://www.annuaire-spectacle.com/annuaire/b-animation/evenements-mariages/sam-branche-velo-generateur-d-electricite-s2537.html
Après, anticipe, j'imagine qu'ils viennent à vélo.
Trouve quelques hamsters, et rayonne leur une roue sur un moyeu dynamo !
Quelle marrade!!
Merci pour ta verve!
T.
Merci !
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