jeudi 14 septembre 2023

La place

La rentrée s'est déroulée de manière peu conviviale. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai eu mon lot de congénères irritables et explosifs, comme cette personne qui criait dans la rue qu'elle allait voir "un vrai mécanicien" et que j'aurai "le droit à une sale note". Pourquoi ? J'avais objecté que faute de temps je ne ne pouvais pas prendre immédiatement le vélo pour un problème de chaîne qui frotte sur la fourchette du dérailleur avant.
 
Je partage une autre tranche de vie d'atelier du même acabit révélatrice d'une part substantielle de mes relations sociales.
 
J'appelle un client suite à une demande d'estimation des travaux. Après les présentations d'usage j'avance :
 
Moi -Je vais changer vos plaquettes.
 
Lui -Non, les disques !
 
-Heu, juste les plaquettes...
 
Je sens un petit mouvement d'impatience de l'autre côté du sans-fil.

-C'est des disques sur mon vélo, pas des plaquettes !

Je comprends que j'ai droit à une petite leçon péremptoire de mécanique et que la personne pense que je lui raconte n'importe quoi. Me voilà donc embarqué à expliquer, avec le reste de diplomatie regagné pendant mes vacances, qu'il y a sur chaque roue de son vélo un étrier avec deux plaquettes dont la garniture s'use plus vite que le disque contre lequel elles entrent en friction au freinage.
 
Tout ceci est anecdotique mais bien trop redondant dans mon quotidien. Quel étrange état d'esprit nous conduit, alors qu'on ne sait pas objectivement comment réparer/entretenir un objet, à néanmoins exprimer une forme de savoir supérieure ou de maîtrise du sujet à la personne à laquelle on le confie ?
 
Après toutes ces années passées avec les pouces noirs, j'avance une hypothèse vaguement bourdieusienne. Pour certaines personnes des classes supérieures il est difficile d'admettre que la solution à un de leurs problèmes (en l'état un problème de freinage) implique une "dépendance" envers quelqu'un de plus basse extraction et/ou au capital culturel/social/scolaire/financier moindre. Alors, pour camoufler cet accroc à l'amour-propre, et histoire de rappeler l'ordre social hiérarchique en vigueur, il est est tentant de remettre l'autre à sa place avec une affirmation qui signifie : "je sais aussi bien voire mieux que vous". Tous les protagonistes savent que c'est mensonger mais le petit théâtre social est ainsi fait. Il s'agit là d'une expression banale de mépris de classe, cela ne tue pas mais à la longue ce genre de réflexions n'aide pas à garder une bonne estime de soi au travail même si j'essaie le plus souvent de les ignorer.

4 commentaires:

lerige a dit…

Je pense qu’il y a aussi l’effet moins j’en sais plus je pense savoir ce que je dis. Bref je ne sais pas que je ne sais pas. Et inversement plus on en connaît sur un sujet moins on a l’impression d’en maîtriser le sujet parfois. Ou en tout cas cela ouvre des horizons qu’on imaginait pas avant d’étudier le sujet. Après sinon c’est peut être juste des cons :)

MSR a dit…

Oui, mais un vélo c'est simple, non ? Si je ne m'en occupe pas moi même c'est que je n'ais pas le temps...(remplacer vélo par voiture/charpente/plomberie/électricité/enfants/couture.....)

Guillaume a dit…

Confession : j'ai récemment changé un boîtier de pédalier parfaitement fonctionnel car le client m'a martelé son diagnostic sans me laisser en placer une.
J'ai également nettoyé la tige de selle et serré le charriot, ce qui a suffit à faire taire les craquements dont il se plaignait.
Laisser faire le pro lui aurait coûté environ 6 fois moins cher ; vouloir avoir raison à tout prix a un coût !

La Tête dans le Guidon a dit…

C'est presque rassurant vos commentaires, on vit un peu les mêmes galères !