lundi 29 mai 2017

Sur le Giro 1949



Ce n'est pas insulter sa mémoire d'affirmer que Dino Buzzati n'y connait rien en matière de cyclisme. Il ne cherche d'ailleurs même pas à donner le change dans ses chroniques quotidiennes du Giro 1949 publiées dans les colonnes du Corriere della Sera et compilées ici par les éditions So Lonely. Heureusement pour lui faciliter la tâche, le duel Coppi-Bartali s'impose dans toute son évidence comme le nœud dramatique de cette édition d'après-guerre. C'est un poil manichéen comme vision du cyclisme mais cela permet à Buzzati de forger un récit épique en redistribuant les rôles construits par son vénérable prédécesseur en matière de journalisme guerrier : Homère. Tout au long de son récit Buzzati va transformer les quelques 4000 km à travers la péninsule en épopée antique où Gino Il Vecchio Bartali endosse l'armure d'Hector. Fausto Coppi prend quant à lui les traits d'Achille et commence à tresser ses futurs lauriers de Campionissimo. Une telle comparaison est-elle trop solennelle, trop glorieuse ? s'interroge Buzzati. Non. Ajoute-t-il aussitôt. Avec le recul cette facilité est de toutes façons excusée quand on sait la prouesse journalistique qu'il y a à produire à chaud une chronique chaque soir après l'étape.

Cette compilation vaut surtout pour tous les à-côtés de la course décrits par Buzzati. Il a la chance de traverser l'Italie depuis la Sicile jusqu'aux Alpes et le parcours passe près de points sensibles d'un pays qui sort de la guerre et du régime fasciste. Ainsi, le passage auprès des ruines de Monte Cassino est pour l'auteur l'occasion de ranimer un instant les protagonistes de cette bataille acharnée. Soldats qui commencent déjà à sombrer dans l'oubli et qui reposent désormais côte à côte qu'elle que soit la couleur de leurs uniformes. Plus tard, le passage par Trieste, séparée depuis 3 ans du reste de l'Italie par les alliés pour en faire un état neutre, est l'occasion de souligner la joie des habitant-e-s qui pour une journée grâce au passage du Giro rejoignent le giron. Des lignes empreintes d'un patriotisme triste que je ne connaissais pas sous la plume de Buzzati.

Les à-côtés se sont aussi tout simplement la description du public qui se masse sur le bord des routes, public bigarré d'une Italie en mutation. D'une part, une Italie traditionnelle (qu'il serait trop facile de réduire à celle de Bartali) peuplée de paysan-ne-s, de boutiquier-e-s, de prêtres et moines ainsi que de la petite bourgeoisie terrienne, et plus au nord, une Italie convertie à la modernité avec sur la côte un tourisme bientôt massif et dans les terres des centres industriels qui produisent des produits de grande consommation. Une Italie qui s'enrichit et transforme les paysan-ne-s en ouvrier-e-s. Buzzati excelle à donner corps à ces multiples facettes du pays en mettant la lumière sur des acteurs de second plan, tel cet homme qui par défi s'échine à effectuer seul le parcours du Giro, ou encore cet ancien coureur qui a investi toutes ses primes de courses afin d'acquérir les instruments nécessaires à la fondation d'une fanfare digne de ce nom.

Je déplore seulement que cette édition n'ait pas été soumise comme il se doit au regard acéré d'un-e correcteur/rice. Il y a quelques fautes de frappes et surtout beaucoup de fautes d'espaces qui nuisent à la qualité de lecture.

Pour finir sur un sourire, je vous propose mon extrait préféré : Les freins grinçaient comme des chatons appelant leur mère. Difficile de faire plus évocateur.

Sur le Giro 1949, Dino Buzzati, trad. Yves Panafieu, So Lonely, 2017.

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