mardi 10 septembre 2013

Dans quel vintage erre ?

Ignorer la déferlante vintage relève de la gageure ou de l’aveuglement. Les meubles, les fringues, tout est vintage. Moi-même, avec le poids (encore léger) des ans, je me sens un peu vintage. Evidemment, la culture vélo ne fait pas exception, sinon pourquoi vous exposerais-je mes états d’âmes ? L’aspect “objet de collection” a toujours été présent chez les fans de cyclisme. Parfois, j’ai l’impression qu’ils/elles ont inventé le concept de “collection” tant ils/elles sont dévoré-e-s par le besoin d’accumuler les vieilleries. Le vélo est un support parfait pour projeter un imaginaire nostalgique. Le cyclisme fourmille de ces petites histoires si bien tournées qui participent à l’édification de sa grande et glorieuse histoire. Pour s’en convaincre, il suffit de jetter un oeil sur le rayon “sports” de n’importe quelle librairie généraliste. Les bouquins sur le vélo et son passé encombré font ployer les étagères, particulièrement au début de l’été. En comparaison, la plupart des autres sports semblent presque sans passé où étrangement amnésiques. En plus d’être capable de faire vendre du papier, le cyclisme fait, à mon humble avis, partie des rares activités physiques susceptibles de fournir un terreau conséquent et renouvellé apte à nourrir une littérature digne de ce nom, ce qui vous en conviendrez n’est pas exactement la même chose.

Tout ça pour vous convaincre, s’il le fallait, que le vélo représente un terrain de prédilection au développement du vintage et de sa quête d’”originalité” et d’”authenticité”. Je m’inclus dans le mouvement. Je possède quelques “vieux” vélos qui, pendus au plafond, ont presque perdu leur fonction première de moyen de déplacement pour devenir objets de pure adoration. Pour autant, je ne m’interdis pas d’être critique quant à cette tendance lourde (l’adjectif est je crois le plus approprié) de notre société. Le vintage est devenu un qualificatif commercial comme un autre. Les années 80 et 90 nous vendaient des produits “révolutionnaires”, les années 2000 et 2010 ne jurent que par deux extrêmes, la technologie et le vintage. Ainsi, combien de vélo soi-disant vintage encombrent inutilement les sites de petites annonces alors que prosaïquement les termes ”épave” où “tas de merde” conviendraient parfaitement. Comme d’habitude, lorsqu’un terme est vendeur, il est galvaudé et vidé de sens.

Ce qui me questionne le plus, c’est le pourquoi d’un tel engouement. Il est fascinant de constater que le “cyclisme-vintage” exalte un passé rassurant. Par exemple, en France, les rassemblements jouent beaucoup sur une image dorée de notre passé : 1936 et les congés payés, où alors une forme de chic parisien un peu désuet, où encore le côté terroir et ses bons produits, etc. En clair, un passé qui n’a, je crois, jamais existé. Un passé revisité, recréé et débarrassé de ses oripeaux les moins “glamour” (les termes glamour et vintage sont rarement très éloignés l’un de l’autre). Une mémoire sélective et parfois un peu trop cocardière à mon goût. Du cocardier à l’entre-soi, il n’y a qu’un pas qui est parfois vite franchi. Le vintage permet de se fabriquer un cocon aux codes parfois hermétiques pour l’extérieur mais rassurant en son sein car consensuel.

J’ai le sentiment que l’émergence de la mode vintage correspond à peu près à un reflux du mouvement activiste et subversif actif au sein de la culture vélo. Jusqu’au début des années 2000, beaucoup de rassemblements cyclistes tournaient autour de la question de la réappropriation de l’espace public urbain ainsi qu’à des problématiques sociales et écologiques plus générales. Les “vélorutions” et autres “masses critiques” qui ont émergé en nombre à cette époque avaient une coloration certes festive mais étaient porteuses de revendications et de questionnements sur et vers la société. Il y avait une volonté de se grouper tout en restant ouvert. Ces groupements avaient l’ambition de se frotter à l’autre avec tout ce que cela peut avoir de dérangeant (se frotter à un automobiliste peu amène est susceptible de laisser quelques traces, j’en témoigne) et la petite déstabilisation de notre train-train que cela représente potentiellement. Si cet aspect revendicatif n’a pas disparu, notamment au travers des ateliers de réparation participatifs, il a, me semble-t-il, marqué le pas au profit de rassemblements cyclistes plus “familiaux” où l’altérité est moins présente et où la question sociale est remplacé par la recherche d’une forme de bien-être individuel. Je ne jette pas la pierre, moi aussi, j’ai besoin de partager de bons moments avec des gens avec qui je partage une certaine communauté d’esprit. A vrai dire, ces deux facettes de la culture cycliste peuvent aisément cohabiter. Je pense simplement que si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons glisser vers une conception communautariste, et par là-même excluante de la sphère cycliste. Et si nous persistons, ce chemin de travers(e) nous mènera à perdre une partie de notre lien au monde qui nous entoure. Un monde encore loin d’être acquis à la pratique du vélo faut-il le rappeler ? Le vélo ne doit pas être un enième accessoire de mode utile à se reconnaître entre pairs. Il doit rester ce qu’il a toujours été, un outil d’émancipation pour tou-te-s.

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