Les vêtements de ville avaient été placés là où ils le devaient, derrière la corbeille de linge, dans un angle discret de la buanderie de l'hôpital. J'avais réussi à obtenir ma sortie du camp d'internement nazi en simulant des maux d'estomac atroces, mais je m'attendais à tout sauf à subir une véritable opération de l'appendicite. L'entaille de mon abdomen était loin d'être cicatrisée, ce qui ne m'avait pas empêché de me rendre aux toilettes au moment voulu et maintenant, si j'arrivais à me glisser dans les vêtements que l'agent de la Résistance (déguisé en curé) avait laissés pour moi, puis à déambuler à travers l'hôpital sans éveiller les soupçons, je n'avais plus qu'à gagner à bicyclette la maison de repos de Lyon sans semer mes intestins sur le boulevard ! Je suis descendu le long de l'escalier monumental de l'hôpital et j'ai poussé les lourdes portes du hall d'entrée. La bicyclette était garée près d'un banc, comme prévu. Précautionneusement, je me suis mis en selle et j'ai dévalé la longue voie privative jusqu'à la route principale d'où, une main posée sur mon estomac, j'espérais pédaler vers la liberté. Les autos filaient autour de moi, la brise de l'été finissant jouait dans mes cheveux, mais soudain le crescendo plaintif de ce que je pris pour une sirène de police s'éleva derrière moi. Avais-je été trahi ? Étais-je en fin de compte sur le point d'être renvoyé dans le camp et de là à Auschwitz ?
L'art de la résistance, Quatre ans dans la clandestinité en France, Justus Rosenberg, éditions divergences, 2024
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