lundi 7 juillet 2014

Chercher la petite bête

Je ne vous apprend rien en disant que, sur ce blog, le thème du vélo est parfois un vague prétexte pour parler de bien d'autres choses. Je ne vais pas déroger à cet habitude et je vous soumet un extrait (sans les annotations) de mon livre du moment. C'est moins léger que de parler dérapage en pignon fixe où anecdotes de randonnées pluvieuses mais c'est probablement plus crucial. En tous cas, cela montre que même à vélo, nous ne sommes pas tous exactement égaux et pas pour des raisons de forme physique :

Des PV de ce type, 100 euros par-ci, 200 euros par-là, pour un pneu de vélo non conforme ou une lumière défectueuse, il en pleut des dizaines, au point que les militants associatifs dénoncent une forme de racket. Non seulement à Ris-Orangis, mais partout en Essonne. Vélos à charrette ou camionnettes : les véhicules utilisés par leurs propriétaires comme des outils de travail sont une cible privilégiée. "Pneu lisse", "feu remorque", "réflecteur avant", "circulation sur le trottoir" : les motifs innombrables et loufoques montrent que, dans ce département, les forces de l'ordre ne manquent aucune occasion de verbaliser les habitants roms. Le procès-verbal d'un contrôle effectué en août 2012 témoigne du fait que les agents ne sont pas allés loin pour verbaliser. Des amis de Dragomir font de la bicyclette à Evry, l'ex-fief du ministre de l'Intérieur, un mardi soir aux alentours de 20 h. Ian et Roberto sont en train de passer devant...l'hôtel de police quand ils sont arrêtés. L'un circule sur un vélo de marque Leopard Bike Sprint, l'autre sur un Peugeot. Tous deux tirent une petite remorque. Tarif : 100 euros chacun. Le premier pour absence de "plaque d'identification, réflecteur avant, frein avant, catadioptre avant, catadioptre arrière, réflecteur remorque, feu remorque, pneu arrière lisse". Le second pour "plaque d'identification, feu avant.arrière, catadioptre avant/arrière, réflecteur remorque, feu remorque, catadioptre remorque". En terme savants, catadioptre est synonyme de réflecteur. Les PV signalent que les hommes payent sur-le-champ en "numéraire" et reconnaissent avoir été informés des dispositions légales. Pour leur lieu de résidence, l'agent contrôleur indique"SDF", même si les contrevenants possèdent une adresse postale. Pourquoi ? pour les contraindre à avancer l'argent sous peine de saisie du véhicule.

"Ah bon, ils se sentent harcelé ?", demande le commissaire central de la police nationale d'Evry, Thierry Mathé. "Il n'y a aucune instruction pour verbaliser en particulier cette population, se défend-il. Les policiers font face à un nouveau phénomène, qui est que ces personnes empruntent des axes à grande vitesse sur des vélos non éclairés tout brinquebalants. Ils constituent un danger pour eux-mêmes et pour les autres. Ce sont les policiers qui ramassent les cadavres", sermonne-t-il. L'état des véhicules semble néanmoins un prétexte. Le contenu des remorques ou des coffres éveille les soupçons des agents. "Quand ils voient un Rom avec des métaux dans sa carriole, affirme le commissaire, ils sont susceptibles de se poser des questions sur la provenance de la cargaison. Mais aucun ordre n'a été donné. Les policiers ne font qu'agir de leur propre initiative pour contrôler ces messieurs."

Pourquoi dès lors "ces messieurs" se font-ils plus fréquemment verbaliser que les autres ? "Les cyclistes normaux ont tout ce qu'il faut", avance-t-il. "Il existe des recours, ils peuvent toujours aller voir un avocat pour contester", s'agace-t-il. L'évocation de versement de cash ne lui plaît que moyennement. "Certains policiers maîtrisent cette procédure, mais en général les agents n'aiment pas se servir de la consignation. L'argent liquide, on n'aime pas trop dans les commissariats, précise-t-il. Face à ce nouveau phénomène de vélos avec remorque, les policiers disposent d'une boîte à outils. Certains policiers sont plus zélés que d'autres pour s'en servir." Des articles du code de la route largement tombés en désuétude sont ainsi réactivés. La plaque d'identification, par exemple. Cycliste depuis toujours, âgé de 71 ans, Marc Alméras, de l'association Dare-dare, dont la devise est "Se déplacer autrement dans la région d'Evry", se rappelle son premier vélo, acquis de haute lutte à douze ou treize ans : "Alors, là, oui, il y avait une plaque d'identification. Je m'en rappelle très bien, avec mon nom te mon adresse. Mais cela fait une cinquantaine d'années que cela ne se fait plus. Les marchands de cycles ne vendent plus depuis belle lurette ce genre de choses." Toujours inscrit dans le code de la route, l'article n'était plus jamais appliqué jusqu'à ce que les policiers de l'Essonne ne le ressuscitent. "Les pneus lisses ? C'est une plaisenterie ! s'exclame-t-il. J'ai moi-même des pneus lisses à changer, mais jamais personne ne m'a arrêté pour cela ! Vous imaginez la maréchaussée m'interpellant : "Dites-donc, vous avez des pneus lisses !"" De tous les cyclistes qu'il côtoie, aucun, n'a jamais été poursuivi pour ce type d'infractions. "Il n'y a pas de contrôle, observe-t-il. Nous n'avons aucun problème avec les policiers. Je connais des gens qui utilisent leur vélo quotidiennement pour aller travailler. Ils n'ont jamais d'ennuis. Les Roms sont victimes d'une discrimination. C'est du harcèlement." " Les policiers sont sans arrêt sur leur dos, renchérit Nicole Brulais, membre de l'Asefrr. Ils font des rondes, ils surveillent. C'est vrai que leurs véhicules ne sont pas toujours en bon état. Mais je circule moi-même à Evry à vélo, je fais parfois des choses interdites comme rouler sur les trottoirs, je l'ai même fait une fois avec un conseiller municipal, évidemment rien ne nous est arrivé. Je n'ai jamais été inquiétée." Lors de la fête des associations, organisée le troisième dimanche de septembre, Dare-dare avait son stand. Des roms s'y sont, paraît-il, arrêtés pour perfectionner leurs connaissances en matière d'entretien.

Roms et riverains, Une politique municipale de la race, E. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard, A. Windels, éd. La Fabrique, 2014, pages 81 à 83.

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