vendredi 2 août 2013

Madeleine de Croûtes

Dans la longue épopée du cyclisme, il y a quelques vélos qui sont vénérés tel des idoles. Si certains de mes amis avaient le privilège d'être laissés seuls quelques minutes avec le vélo de Merckx qui a servi à son record de l'heure de Mexico, je ne serai pas surpris d'apprendre qu'on les a surpris nus se frottant sur la chaîne de la sainte relique. Il y a quelques vélos qui jouissent d'une telle aura qu'à écouter leurs aficionados, ils ont leur existence propre. J'ai plus d'une fois entendu des sorties du genre : "C'est le vélo qui a remporté le Tour de France 94 !". C'est étrange, dans mes souvenirs, il y avait un type assis dessus qui pédalait en grimaçant.

Aujourd'hui, je vais vous présenter un vélo nettement moins prestigieux, connu de cercles restreints et à l'histoire anecdotique. Néanmoins, ce vélo est pour moi d'une importance cruciale et son histoire est riche de rebondissements. Il y avait la madeleine de Proust, vous devrez désormais compter avec mon premier vélo, celui sur lequel j'ai pris mes premières croûtes :


Je ne me souviens pas de mon âge lorsque je l'ai eu. Je me souviens par contre être passé directement du tracteur à pédales au vélo. Je me rappelle aussi avoir accompagné mes parents en voiture pour l'achat du vélo sans savoir à quoi m'attendre. C'était un vélo d'occasion qui avait déjà pas mal bourlingué. Il était sûrement plus qu'une "seconde-main". A l'époque, il était blanc avec déjà de la rouille et orné, sur le tube de selle, d'un autocollant Panini figurant 4 joueurs de l'équipe de foot de Montceau-les-Ruines-Mines. Je n'en sais pas plus. Sur son prix d'achat, la mémoire parentale varie beaucoup, entre 50 et 100 francs. Vraiment un vélo de deuxième division ! Je peux vous dire que je n'ai pas fait la fine bouche, dès l'instant où je l'ai touché il était mien. C'était tellement inattendu comme surprise.

Je vais en saoûler certain-e-s avec ça, mais ma grande fierté est d'avoir appris à pédaler seul et sans roulettes. L'apprentissage n'a pas été aisé mais j'ai persisté. Je passerai sous silence certaines péripéties qui m'ont mis dans la merde. L'image n'est en aucun cas à prendre au figuré. J'ai vécu un nombre incalculable d'aventures sur ce vélo et dès que la surveillance de mes parents se relâchait, j'en profitais pour repousser plus loin mes limites. Lancé à pleine vitesse, j'ai ainsi tenté de passer à travers un laurier du type "betonus vegetalus" de presque deux mètres d'épaisseur. L'expérience est littéralement encore à couper le souffle. Je me suis également précipité contre un fil de fer qui barrait ma route. Sans plus de succès. Bref, je me sentais invincible.

Avec le temps, j'ai changé de vélo et j'ai lâchement abandonné le malheureux compagnon de mes premiers émois. A l'âge adulte, j'avais même tout simplement perdu sa trace. Je pensais qu'il avait terminé son parcours dans la benne de la déchèterie.

Un jour, alors que j'étais en visite chez une de mes soeurs, je passe devant un appentis et je vois un petit vélo bleu qui mord la poussière. Par atavisme, je m'approche jauger le tas de ferraille. Sous son maquillage mal posé je reconnais aussitôt le vélo de mon enfance. Il avait donc loyalement continué à répandre la bonne nouvelle du cyclisme à mes neveux ! Je me suis empressé de demander si après une si longue séparation je pouvais reprendre la garde de mon premier compagnon.

Cela fait donc quelques années qu'il croupit dans ma cave en attente d'une hypothétique restauration. Projet sans cesse repoussé, il devient difficile de se procurer des autocollants Panini de l'équipe de Montceaux. Qui plus est, je ne me souviens pas du millésime exact. Je me dis surtout que le mieux serait que le retape un peu pour qu'il serve de monture à un autre chiard en apprentissage. Si je procrastine tant c'est peut-être que j'ai peur d'être séparé de lui une nouvelle fois et de peut-être le perdre à jamais.

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