lundi 7 janvier 2013

Le "saumon"


Le cyclisme est une science assez peu exacte. Nombre de théories plus ou moins fumeuses ne cessent de naître, de disparaître, pour revenir à peine maquillées. Par exemple, il y a une vingtaine d'années, l'heure était aux plateaux ovoïdes. Puis, ils ont été accusés de tous les maux et sont tombés en désuétude. Un ahuri gagne le Tour équipé de plateaux ovoïdes ? Voilà qu'ils sont à nouveau encensés. Sans mauvais jeu de mots, le cyclisme est un cycle sans fin. Vous comprenez donc aisément que la "cyclistique" est une science très imparfaite qui en est encore à ses balbutiements. Néanmoins, aussi maigres soient-ils, nous devons faire avec le peu d'outils à notre disposition pour, jour après jour, faire avancer le savoir commun. Je me propose donc aujourd'hui d'entamer un travail de vulgarisation.

A l'image de la biologie, la cyclistique a mis au point son propre classement, sa propre taxinomie. En fonction de sa pratique, de son type de vélo, de son comportement, de son écosystème, chaque cycliste se voit attribuer une place et un nom dans la petite famille du vélo. La plupart des sous-espèces nous sont familières : vététiste, randonneur/se, vélotaffeur/se. D'autres nous semblent plus exotiques parce que plus récemment découvertes et pas encore tout à fait figées dans une norme rassurante pour le reste de la faune pédalante. Nous pensons ainsi évidemment aux fixistes et autres poloteurs/euses. Nous pourrons y revenir mais ce n'est pas d'eux/elles que je veux aujourd'hui parler. Je voudrais vous présenter une figure par trop méconnue du grand public bien qu'assez souvent dangereusement croisée.

Je veux vous présenter le cycliste dit "Saumon".

Le "saumon" tire son sobriquet de son comportement très fidèlement calqué sur le poisson du même nom. Par un curieux mimétisme, le saumon des villes remonte à contre-courant les pistes cyclables. Le saumon est donc avant tout, pour ne pas dire uniquement un cycliste urbain. Sans piste cyclable, son écosystème est inexistant. Vous ne le croiserez donc pas sur les petites routes de campagnes car celui-ci ne remonte à contre-sens QUE les pistes cyclables et non pas les voies réservées aux automobiles ! En ce sens, (en plus de la sienne) le saumon ne met en danger que l'intégrité des autres cyclistes.

Mais alors, qu'elle est la motivation du saumon ? Et bien, c'est là où la science cycliste dans son extrême dénuement se trouve en difficulté. J'ai bien ma propre théorie mais elle est encore assez peu étayée. Je me lance. Il me semble que le saumon des villes, à l'image du saumon des rivières remonte le courant avec inconsciemment l'espoir d'aller se reproduire. Il est ainsi tellement pressé d'accomplir la dispersion de son capital génétique qu'il méprise toute règle de sécurité et met en jeu sa survie immédiate. Ma théorie est certes un peu enlevée mais, si vous le permettez, je vais pousser le parallèle entre les deux espèces de saumons un peu plus loin. Comme vous le savez, le saumon des rivières en remontant les cours d'eau pour se reproduire nage tout simplement vers sa mort. S'il ne tombe pas entre les griffes de nombreux prédateurs, l'épuisement du fraie lui sera fatal. La mort aussi guette le saumon des villes. Ici, point d'ours à l'affût, le saumon de villes se heurte à ses malheureux congénères qui circulent dans le bon sens. Pire, en voulant éviter d'autres pédaleurs/euses, par une manoeuvre hasardeuse, il risque de rencontrer le prédateur naturel du cycliste le plus féroce : l'automobiliste. Dans ce cas l'issue est parfois fatale.

Il me semble inutile de poursuivre l'analogie, le tableau est suffisamment saisissant de vérité pour être pris au sérieux. C'est donc désormais en connaissance de cause que vous ferez preuve d'indulgence quand, un samedi soir, alors que vous circulerez sur une piste cyclable, vous verrez venir face à vous un saumon. Zigzaguant tous feux éteints, le portable vissé sur l'oreille pour chercher le chemin de son hypothétique frayère, le pauvre ne sait pas qu'il court droit vers la mort. Ne lui criez pas dessus, écartez-vous et laissez-le aller vers son funeste destin puisqu'il en a toujours été ainsi.

1 commentaire:

Rita a dit…

J'aime les saumons !
Même s'il est parfois déjà mort et qu'il ne le sait pas lui même.