mardi 2 juin 2020

Dzing


Cela fait déjà trois semaines que les mesures gouvernementales d'aide à la pratique du vélo en sortie de confinement sont effectives. Ce "coup de pouce" comprend trois volets : aide de 50€ pour la remise en état d'un vélo, prise en charge d'une leçon de vélo-école, abondement à hauteur de 60% des coûts d'installation de places de stationnement temporaires pour certaines collectivités.

En bon rabat-joie de service je vais noter ici quelques bémols quant au premier volet, celui qui me concerne plus directement.

Il est de notoriété publique que ce pays est une immense mine de vélos non-utilisés, presque chaque cave, chaque grenier, chaque grange compte un ou plusieurs vélos. La France n'a pas de problème d'équipement (tout du moins en terme de quantité), il s'agit d'un problème de sous-utilisation, un peu à l'instar des perceuses qui ne seraient utilisées que 12 mn en moyenne durant leur carrière.

Je ne vais pas m'étendre sur les causes du relatif retard de la France en ce qui concerne l'usage du vélo en tant que mode de transport, d'autres l'ont fait mieux que moi.

Néanmoins j'émets l'hypothèse que l'aide de 50€ à la réparation d'un vélo n'est pas un levier très efficace (en terme de rendement économique de l'argent public) si on veut remettre mes congénères en selle parce que fondamentalement elle n'améliore pas l'écosystème du vélo. Notez la nuance du "pas très efficace". Il ne suffit pas de disposer d'un vélo pour que celui-ci s'impose comme un moyen de transport évident.

Il faut pouvoir se déplacer en sécurité (pistes quand c'est nécessaire, sas au feux, etc.) et avec efficacité (vive les "tournez-à-droite" ; marre des pistes cyclables qui prennent des itinéraires à rallonge alors que la bagnole peut tracer tout droit). Pour se sentir à l'aise certain-e-s ont besoin d'un petit encadrement pour redécouvrir le vélo et s'il y a un volet du plan que je plébiscite c'est l'aide à la remise en selle au sein d'une vélo-école (j'y reviendrai une autre fois) !

Il faut pouvoir garer son vélo facilement et de manière sûre. En ce qui concerne ce point le troisième volet du plan arrive à point nommé mais pourquoi ne lui conférer qu'un caractère temporaire contre-productif ? De même une aide mesurée et partielle au financement de l'aménagement de vestiaires dans les entreprises/collectivités aurait été une dépense utile en terme d'écosystème.

Il faut pouvoir faire entretenir son vélo facilement. Cela implique d'avoir assez d'ateliers à disposition et que ceux-ci puissent être réactifs en terme de délais. Cela nécessite de rendre la profession plus attirante qu'elle ne l'est. Il faut des rémunérations (que ce soit pour les salarié-e-s ou les indépendant-e-s) plus correctes et en adéquation avec l'utilité sociale avérée de ce travail. Dans une certaine mesure la profession pâtit de son image de passionné-e-s désintéressé-e-s (sans pour autant nier cette qualité ô combien primordiale). Pour être franc, avec un tout petit peu de recul, je trouve qu'une aide à l'installation d'ateliers vélos aurait été plus judicieuse sur le moyen terme pour aider au renforcement de l'écosystème vélo. Par exemple, une aide de 5000€ permet l'achat de l'entièreté de l'outillage d'un atelier. Aujourd'hui la même somme dépensée aide à la réparation de cent vélos ce qui me semble plus anecdotique. Il en va de même pour la formation de mécanos (tiens j'ose le terme de mécanas pour les femmes). Il aurait été plus judicieux de mettre le paquet dans une forme de prise en charge de tout ou partie des frais de formations, notamment pour les plus précaires. Et tant qu'à faire pas en version uberisée de 20 jours comme j'ai pu le lire. Une formation digne de ce nom réclame plus de temps sinon on en revient à l'image dégradée de bricoleurs/euses vite formé-e-s au savoir-faire restreint et donc pas si mal payé-e-s pour autant.

Enfin, pour parfaire notre écosystème vélo il eût fallu nous mettre sur le pied de guerre et chasser du territoire notre ennemi héréditaire : la bagnole. L'urbanisme tactique avec ces aménagements très vite mis en place est une solution d'urgence. Mais selon moi tout l'enjeu est de ne pas restituer à la bagnole le terrain qui lui a été repris si on veut VRAIMENT changer les usages. Les modes de transports sont en concurrence. L'écosystème bagnole se porte bien mais c'est au détriment des autres. Là encore l'argent public du plan vélo serait nettement plus efficace que dans ma poche où il va inéluctablement être dilapidé en frites, glaces et parties de baby-foot.

La culture vélo de ce pays doit muter. Ses aspects sportifs et loisirs sont bien vivants mais le pan utilitaire est clairement encore à la traîne. Par exemple si comme je le vois, le "coup de pouce" sert à retaper un grand nombre de vététés de supermarché je peux prédire sans grand risque que cet automne à la première averse leur absence de garde-boues va les reconduire à la cave. Dans ce cas de figure les 50 balles de nos impôts auront été relativement mal dépensés. En terme de culture je disais plus haut que ce plan ne contribuait pas à améliorer l'image de ma profession. Combien de demandes pour une remise en route "pour 50€ max" n'ai-je entendu ! Combien de fois m'a t-on parlé de "prime" comme si cette somme était gagnée lors d'un sprint d'une course amateur du dimanche. Le fait que l'atelier avance pour les gens les 50 premiers euros invisibilise une partie de mon taf (j'ai failli écrire "démon taf" j'en parlerai à mon psy quand j'en aurai un). D'un point de vue pédagogique si les client-e-s avançaient cette somme je crois que cela rendrait mon travail plus crédible et cela éviterait le pur effet d'aubaine. D'un autre côté, certain-e-s de mes client-e-s sont vraiment sans le sous et en sortie de confinement parfois encore un peu plus dans la merde. Sur ce dernier point encore les inégalités se reproduisent, pour certains 50 balles c'est réellement un "coup de pouce" pour d'autres un petit avantage qui s'ajoute aux autres.

Parmi vous il en est qui pourrait rétorquer que je suis mal placé pour me plaindre alors que je vais me gaver d'argent public. D'abord, je me permets de rappeler qu'en mars et avril mon activité était à l'arrêt complet et que le SMIC est toujours un horizon lointain et radieux pour moi. Surtout, sans vouloir jouer les Cassandre je me prépare à un sérieux trou d'air dans mon activité une fois que l'effet d'aubaine sera passé et que le "retour à l'anormal" se fera plus impérieux. De toutes façons, je compte bien vous faire mon habituel bilan financier de fin d'année.

3 commentaires:

lerige a dit…

beaucoup de bonnes choses dans cet article, bravo !

La Tête dans le Guidon a dit…

merci ! tu as du le lire alors que je le recorrigeai... désolé pour les coquilles et autres.

Guillaume a dit…

Je vais décidemment te spammer de commentaires sur chacun des articles !

Bien d'accord sur la maladresse de ce plan vélo. 50€, c'est beaucoup et trop peu à la fois.
Je trouve un peu vexant la communication faite autour de l'idée qu'on puisse remettre sur route une épave avec 50€. Désolé, mais pour 50 balles, difficile de faire un miracle, sauf à renoncer à facturer une main-d'œuvre décente, ou à installer des pièces de qualité indigne (on connait tous la chaine au mètre qui rouille si on lui parle d'eau, les patins de freins plus durs que les jantes, et j'en passe...)
Je trouve scandaleux le fait d'avoir à avancer l'argent. Hormis quelques grosses structures aux reins solides, tout le monde tire la langue.
Comme tu le dis, il aurait été plus logique que le client doive payer puis faire les démarches lui même pour se faire rembourser. Plus responsabilisant aussi.

Quant aux remarques "ah ben ça bosse, vous allez vous faire du pognon !", on y a droit plusieurs fois par jour, ça devient exaspérant... Et faux !
L'analyse de nos chiffres du mois de mai me renseigne assez précisément. J'y constate en vrac que :
- le chiffre global n'est pas meilleur qu'à la même périodes les années passées (le mag étant orienté sport/loisir, printemps-été, c'est de toute façon la meilleure période)
- les d'actes facturés côté atelier sont en hausse, mais la valeur moyenne de ceux-ci est bien moindre que les autres années (et tend vers les 50€, quelle surprise)

De façon plus générale, la façon que les gens ont "d'exiger" leurs 50 € me révolte. La plupart n'en n'ont pas besoin, mais ne peuvent pas s'empêcher de profiter du moindre centime qu'offre l'état. Gageons que ce seront les mêmes qui, après avoir fait réviser les 3 vélos qui ornent leur cave, sauteront sur l'occasion pour s'acheter une voiture "propre", puisque l'état les aide à le faire.
C'est pas encore gagné pour le monde d'après.
Et je ne vais même pas aborder la question de l'urbanisme.
Je te laisse en compagnie de ce joyeux article qui résume assez bien la situation dans l'autoproclamée capitale du vélo
https://www.rue89strasbourg.com/un-feu-tricolore-plante-au-milieu-dune-piste-cyclable-toute-neuve-176999