jeudi 30 août 2018

Méprise de tête


Le téléphone sonne. Un client vient aux nouvelles. Où en sont les réparations du vélo confié la veille ? Je demande si j'ai envoyé un message stipulant que le vélo est prêt. Il semble que non. Je demande une description rapide du vélo et, par acquis de conscience, je vérifie s'il est stocké avec les autres, auquel cas j'aurai oublié de prévenir le propriétaire. Je suis sceptique, la description du vélo ne me dit rien. Le daltonien que je suis demande un coup d'oeil à deux amis qui vivent dans un monde exempt du "vert moutarde". Ils confirment : aucun vélo ne colle à la description.

Nombre de cyclistes n'ont qu'une vague représentation de leur vélo. Certain-e-s n'en connaissent pas la marque, d'autres décrivent un vtc comme étant un vélo de route. Souvent la couleur est aussi fantaisiste que la perception que j'en ai. Alors, je reprends le numéro de la personne et m'engage à la rappeler après avoir passé au peigne fin toutes les fiches de réparations des vélos pour les comparer avec le contact en question.

Nouvel échec.

Je reprends le combiné. L'anxiété monte. Aurais-je pour la première fois de ma carrière "perdu" le vélo d'un client ? Je perdrais en même temps la face. Je demande si mon interlocuteur ne confond pas mon atelier avec le magasin de mes confrères situé une centaine de mètres plus loin dans la même rue. Cette méprise est courante : après tout si certain-e-s cyclistes sont incapables de reconnaître leur destrier, il n'y a pas de raisons qu'ils/elles soient plus doué-e-s devant une devanture, ce même si les apparences n'ont rien de commun. Mon client s'énerve et s'exclame qu'il l'a bien laissé sa bicyclette chez moi : "là où il y a aussi des livres". Penaud, je raccroche et entame une nouvelle fouille exhaustive.

Malgré le stress qui frappe mes tempes, je me rémémore deux principes de base. Voici le premier mouvement de mon "bilogue" : "Le/la client-e a toujours tort". Le second découle en toute simplicité du premier : "Le mécanicien a toujours raison". Ces deux petites phrases bien senties et jamais démenties sont ma bouée pour résister à l'assaut des vagues de client-e-s en même temps qu'une boussole pour m'extraire de ce naufrage permanent que sont les relations humaines.

A l'aune de mes table-tte-s de la loi, je me rends d'un pas alerte vers la boutique de mon confrère. En deux temps, trois mouvements, avec le mécano, nous mettons la main sur un vélo qui correspond précisement à ma recherche.

Soulagé tout autant qu'exaspéré d'avoir gâché vingt belles minutes de ma courte existence, je passe un dernier coup de fil. J'ai l'impression que mon atelier s'est mué en scène de théâtre et bien que situé dans une petite rue, je ne vois que le terme de "boulevard". Heureusement cette scène à la recherche d'un vélo volage, avec beaucoup d'entrées et de sorties côté rue et côté atelier, touche à sa fin. Je l'ai tant joué que je ne m'y investi guère. Je cherche à bâcler. Je décris brièvement l'objet du quiproquo et le voile se lève enfin. Mon interlocuteur reconnait enfin sa bévue et, au lieu de marmonner une vague excuse, il me demande :

-Et vous savez s'il est prêt ?

Je me suis empressé de raccrocher, j'avais envie de passer du burlesque au registre grossier.

2 commentaires:

Malene a dit…

j'ai adoré tout l'article mais la fin m'a fait éclater de rire !
Merci

La Tête dans le Guidon a dit…

Cool !