mercredi 10 février 2016

Scoliose et cyphose


Les rencontres et les conversations ubuesques font le quotidien de l'atelier. Ce n'est pas la matière qui manque. J'ai sous le coude des histoires tellement cocasses qu'elles sont encore trop sensibles pour être divulguées sans entraîner des opérations de rétorsion à mon égard. Patient, je consulte régulièrement mes dossiers et laisse mûrir ce précieux nectar. Comptez sur moi pour ne pas laisser passer la date de prescription.

En attendant, voici une petite histoire toute récente. Un cycliste franchit le seuil de l'atelier. Il désire que je règle les freins de son spad. Plus que l'usure des patins, ce qui me pète à la gueule c'est l'état de la fourche. Elle est tordue dans tous les sens et la roue touche presque le tube diagonal. Je repense avec émoi à la scoliose doublée d'une cyphose d'une vague connaissance lorsque j'étais au collège. Il lui avait fallu beaucoup de natation, et autant de basket, pour résoudre un tant soit peu ce double problème qui avait amené un caïd de ma classe à le surnommer "Quasimodo"*. Avec tout le respect que j'ai pour ces deux nobles activités sportives, je me vois mal appliquer avec succès ce traitement à un vélo. Qui plus est, le cadre a aussi souffert le martyre. La peinture écaillée au niveau du tube de direction signale clairement une rencontre aussi dure qu'inopportune. Je suis catégorique, hors de question pour moi de refaire le freinage. Je déploie le peu de pédagogie à ma disposition pour expliquer le danger qu'il y a à utiliser ce que je qualifie d'engin de mort. Mon interlocuteur m'annonce qu'il a lourdement chuté il y a quelques mois. Pour appuyer son propos il s'exclame :
-C'est vrai qu'après, je ne comprenais pas pourquoi le vélo roulait tout de travers ! C'est super chiant.

J'y vais à fond dans le registre mélo-dramatique, je tiens à convaincre mon ex-futur client que la sécu lui sera grandement reconnaissante de l'épargner en se débarrassant de sa machine devenue machin. Il repartira à pieds certes, mais convaincu que c'est une action salvatrice pour son intégrité physique. Sûr de moi, j'ouvre la porte et laisse passer celui que je viens d'arracher des griffes du dentiste et du chirurgien réunis.

En toute simplicité, il enfourche alors son cadavre d'acier et nous fait au revoir de la main un grand sourire aux lèvres.

Mon collègue libraire qui a assisté à toute la scène écarquille les yeux et reste bouche bée. Quant à moi, je me sens gagné par une grande lassitude et l'inexplicable envie d'uriner dans un Stradivarius.





*Comme quoi le cancre en question était plus littéraire que ne voulait bien l'admettre madame B. la prof de français.

1 commentaire:

Cyclusvisviva a dit…

Mon premier éclat de rire de la journée ! Merci pour ce réveil plein de mots...