dimanche 19 juillet 2015

Malédiction estivale

Il y a peu, deux collègues m'ont honoré de leur visite. L'occasion idéale pour les questionner au sujet d'une malédiction que je croyais être un envoûtement personnel. Mais, d'après leurs témoignages concordants tou-te-s les mécanicien-ne-s-vélo seraient touché-e-s. Il s'agit d'une malediction estivale. Elle sévit au mois de juillet, époque bénie où se déroule Le Tour. Pardonnez l'usage des majuscules mais c'est le moindre des hommages qu'on puisse rendre à cette vénérable institution.

Distraitement, à partir de quatorze heures, la cérémonie débute. Les raisons de s'adonner au rite sont multiples. Si beaucoup sont intimement convaincu-e-s, je reconnais que ma foi relève d'une tradition assez désabusée et distante. Pour autant, je ne sombre pas dans le folklore stérile et je vis à l'occasion de beaux moments de grâce. Entre un changement de transmission et une crevaison, je jette un oeil au déroulement de l'étape. Le cyclisme est un sport d'endurance, inutile de s'égosiller trop tôt, il faut prendre ses marques, jauger les forces en présence, opérer quelques opérations de calcul mental quant aux écarts, etc. Petit à petit, la pression monte et aux alentours de dix-sept heures l'ambiance est à son paroxysme. Imperceptiblement, je délaisse l'établi pour céder au magnétisme de l'écran. Au passage de la flamme rouge mon esprit est tout entier absorbé par le drame sur le point de se dénouer sous mes yeux. Mon coeur palpite à l'unisson des milliers de mécanos du monde entier. Nous communions. Rien d'autre n'existe.

Et la malédiction frappe.

Depuis plusieurs heures, les client-e-s se sont fait rares, pour ne pas dire absent-e-s. C'est alors qu'en même temps que la ligne d'arrivée se profile un-e cycliste annoncé par un bruit de roue libre. Avec une innocence criminelle, le/la voilà qui lance un anodin : Vous pourriez regonfler mes pneus ? Ma conscience professionelle m'arrache aussitôt de l'objet du désir. Tel un robot, je réponds machinalement  : Bien entendu, j'arrive, mais bordel de merde, ça fait trois mois que tu roules quasiment à plat, pourquoi tu viens me faire chier maintenant ! Voici toute mon humanité ensevelie sous l'atavisme du mécanicien-vélo dévoué.

J'ai fait des statistiques sur Le Tour de cette année. En tout et pour tout, je n'ai vu qu'une seule fois le vainqueur de l'étape lever les bras au ciel. En général, lorsque libéré de toute contrainte je reviens devant mon écran, j'ai droit au monologue d'un certain Gérard, expert en poncifs sur le cyclisme. Je compte bien profiter de mes journées de repos pour rattraper le temps perdu et jouir jusqu'à leur dénouement des étapes à venir. Claquemuré dans la pénombre protectrice de mon atelier, bien protégé par une porte prudemment vérouillée tout ne sera volupté, j'en fais la promesse.

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