mercredi 6 mai 2015

Cyclo-masochistes

J'avais promis d'écrire un compte-rendu de mon premier brevet de 400 km. Je ne me sens pas la verve à raconter plus de vingt heures de vélo par le menu. Cette randonnée est vieille d'à peine deux jours, pourtant l'enchaînement des évènements me paraît déjà nébuleux. La faute à une nuit de pédalage sans sommeil et un peu trop arrosée ? Pour pallier à ce trou de mémoire, je me propose de saucissonner l'affaire en quelques thèmes. Je n'aborde pas tout ce que j'ai vécu, loin de là, mais avec un peu de chance et beaucoup de discernement, certain-e-s d'entre-vous y trouveront peut-être quelques modestes clés pour peaufiner leur propre préparation à ce genre d'objectif.

Météo nationale, météo du Capital :
La semaine précédent le brevet, les questions météorologiques ont occupé la plus grande partie de mon esprit. Ma fréquence de consultation de divers sites météo a frôlé le trouble obsessionnel compulsif. J'aurais pu me fier à ma simple expérience sensible : aussi loin que je me souvienne, il n'a jamais fait beau dans la région un week-end du premier mai. J'imagine qu'il existe un proverbe pour ancrer cet état de fait dans le folklore local, malheureusement je ne le connais pas. La règle empirique n'a pas failli. En tout et pour tout, la pluie n'a cessé qu'une paire d'heures. A peine le temps de commencer à sécher, à peine le temps de croire à des conditions plus clémentes. Au moins, les vêtements techniques procurent le notable avantage d'aider à la conservation de la chaleur même quand de par leur taux d'humidité, les forêts de l'Orne et de la Mayenne semblent posées juste sous l'équateur. Le plus énervant, c'est qu'être trempé gâche complètement les pauses tant attendues parce que l'inactivité est synonyme de sensation de froid. Quant au plaisir des longues descentes, de nuit, avec la pluie qui fouette le visage, réduit le champ de vision, coule doucement le long de l'échine, annihile le concept de "freinage d'urgence" ; je ne l'ai guère goûté tout occupé à rêver de la tiédeur lointaine de ma couche.

Bonne nuit les petits :
Si j'ai voulu me coltiner un 400 c'est surtout pour l'expérience de la nuit. J'apprécie énormément les virées nocturnes. Il y a cette inégalable sensation de flottement, la distorsion de perception du relief, la vue qui limitée laisse plus de place à l'ouïe et à l'odorat. Avec un ciel clair, tous feux éteints, il est possible de tracer la route comme en plein rêve. Bon, ce week-end, il fallait repasser pour l'horizon dégagé. J'étais bien content de la qualité de mon éclairage et encore plus de celle de mon compagnon de virée qui faisait presque la nique aux bagnoles. Je n'avais jamais expérimenté une nuit blanche de pédalage. A ma grande surprise, le sommeil ne m'a presque pas titillé. Mon sang devait charrier un cocktail d'endorphines dangereusement proche de l'overdose. Je n'ai réellement senti la fatigue tomber qu'à la première pause, une fois le jour venu. Descendu du vélo mes jambes étaient de coton. Je titubais imperceptiblement tel un alcoolique mondain. A l'image de ce dernier, qui pour garder toute sa contenance retourne s'accouder au bar, j'ai enfourché mon vélo et suis redevenu imperturbable.

Nos amis sont bêtes :
Ce 400 m'a presque fait regretter de ne pas bouffer de viande. J'ai été fort mal récompensé par le règne animal de mes si longues années de végétarisme. Bien sûr, je peux pardonner aux dizaines de grenouilles et crapauds de venir s'ébattre sur la route. Leur couleur tranche clairement sur l'asphalte et les rend facilement évitables. Ma confiance envers nos amis les bêtes a flanché une première fois lorsqu'au beau milieu d'une descente forestière, maître renard par la myopie affecté, entama au pas de course une trajectoire perpendiculaire à la mienne. Sa surprise fut en tout point égale à la mienne. De nous deux, il fut celui qui se ramassa une pelle en improvisant son demi-tour. Je terminais la descente criant à tue-tête, intimant l'ordre à toutes les bestioles de la forêt de rester sagement dans leur lit si elles ne voulaient pas finir au pied du mien. Las, la nature à ses raisons que même les chasseurs ignorent. En plus profond de la nuit, alors que mon compagnon de route et moi roulions de concert, une grosse boule de poils noire et blanche s'est précipitée vers nous depuis le bas-côté. Un blaireau bien trapu qui après avoir stoppé net sa course à un poil de ma roue avant, a entamé une retraite toute napoléonienne et a "réussi" l'exploit de glisser une papatte où je ne sais quelle autre partie charnue de son intégrité sous la roue arrière du vélo de C. Quelques minutes plus tôt ce dernier se plaignait d'endormissement, le voilà vacciné pour toute la fin du parcours. La petite histoire retiendra que C. roule sur un vélo de la marque "Badger" ("Blaireau" en anglais), logique puisqu'il s'agissait de la marque de Bernard Hinault surnommé à juste titre pour sa ténacité et son mauvais caractère "le blaireau".

Les amis, les vrais :
Il faut savoir trouver les bons appuis pour une épreuve d'endurance. En premier lieu, tout est question de rythme. A la tombée de la nuit j'ai perdu de vue les compagnons avec qui j'avais prévu de passer la nuit. Je me retrouvais seul avec C. Son tempo et le mien étaient parfaitement à l'unisson, quelle aubaine ! Cela faisait bien 8 ans que nous n'avions pas roulé ensemble. Nous n'avons pas exactement la même conception du cyclisme. Alors que je regarde le paysage et lorgne vers les troquets, lui analyse le rendement de l'asphalte et surveille les données de son compteur. Même nos "styles" nous opposent. C. attaque souvent les bosses en danseuse alors que je m'y traîne le derche vissé à ma selle. C. descend plutôt prudemment alors que j'en profite pour débrancher le cerveau pendant quelques secondes. N'empêche que notre alliance de circonstances a fonctionné au poil avec une division toute scientifique du travail. Sûr de son expérience C. trace la route et donne le rythme général, en bon élève que je suis (et aussi parce que je n'ai pas de GPS) j'ai appris par coeur le parcours et je m'occupe de l'orientation. Il est important d'être bien entouré, j'en ai eu la certitude lorsque de nuit, dans un patelin, après avoir posté une carte postale à un point de contrôle, je m'enfile quelques fruits secs avant de reprendre la route. C. me touche alors de sa sagesse et lance à peu près : "Moi, j'en mange pas des fruits secs, ça me fait lâcher des caisses et ça me file la chiasse". Le malheureux n'avait pas vu, dans la pénombre, à deux mètres de lui, les habitants de l'ancien bureau de poste fumant paisiblement leur cigarette sur le pas de la porte. Amis de la poésie, bonsoir. En tous cas, nous aurons roulé près de 280 km sans nous désunir et il a parfaitement fait la locomotive. Encore merci !

Le monde comme il va :
J'apprécie dans les brevets que le cycliste fasse partie intégrante du paysage. Il n'est pas au centre de l'attention, comme dans les courses cyclistes classiques. Il en découle une posture plus propice à l'humilité renforcée par l'inutilité de l'idée même du classement. L'important est dans le dépassement personnel. Qui plus est, le/la personne qui pédale à tes côtés est un appui potentiel, pas un concurrent-e. La collaboration est toujours possible, un peu comme ces moines du moyen-âge qui se fouettaient mutuellement le dos avec des orties pour la rédemption de leurs âmes. Je crois que c'est l'image la plus juste pour décrire un 400. Je ne doute pas qu'une telle image va vous donner l'envie de tenter l'expérience...

1 commentaire:

Boris a dit…

Bravo! Tu ne t'es pas défilé devant ce temps pourri annoncé, je n'en aurais sûrement pas fait autant...