lundi 17 septembre 2012

Igor Kenk "le Terrible"


Ce nom ne vous est peut-être pas très familier mais à la fin de ce billet sa simple évocation fera frémir le/la pauvre cycliste que vous êtes.

Né en Slovénie, le 7 avril 1959, c'est au Canada, et plus précisément à Toronto, que Igor va construire sa légende. Igor tenait à Toronto un atelier qui se nommait The Bicycle Clinic. Pas besoin de vous faire un dessin, il réparait les vélos. Igor est un personnage aux multiples facettes, traversé de nombre d'obsessions. En clair, Igor est un homme un poil torturé. A son arrivée en 1988 en Amérique du Nord, cet espèce de philosophe des rues mâtiné d'obsédé du recyclage constate le gâchis de la société de consommation. Il y voit même le signe du déclin annoncé de l'empire américain. C'est une des motivations qui le pousse à ouvrir son atelier où il répare, recycle (il est aussi un peu ferrailleur durant l'hiver) et revend des vélos d'occasion. Assez vite son atelier, et surtout lui, deviennent connus comme le loup blanc. Situé dans un quartier en pleine gentrification, il détonne. Igor file parfois un peu de taf aux sans-abris des environs ou aux patients de l'hôpital psychiatrique tout proche. Et puis, Toronto est une ville où la pratique du vélo est très développée donc son atelier devient un lieu incontournable . Les personnes qui se font voler leur vélo savent même qu'avec un peu de chance, en se rendant à son atelier il est possible que leur vélo ait "atterri" là-bas. Si c'est le cas, il faudra soit faire preuve d'un grande persuasion, car Igor est assez charismatique pour ne pas dire impressionnant, soit tout simplement se contenter de débourser 30 ou 40 dollars en espèces afin de récupérer son bien.

A dire vrai, Igor a eu le feu aux fesses en 1993, pour une histoire de détention de vélos volés (l'étrange anagramme vélo/volé ne cessera jamais de me surprendre). L'affaire n'a pas connu de réelles suites judiciaires car la police n'a pas été en mesure de prouver qu'Igor n'avait pas racheté en toute bonne foi ces vélos. Il s'en suit de ce premier avertissement que la police se désintéressera quelque peu d'Igor tout en incitant parfois les personnes lésées à aller faire un tour par chez lui.

Igor aura donc la paix jusqu'en 2008. A cette date, la police constate une forte recrudescence du vol des vélos. Afin d'y mettre un coup d'arrêt, elle appâte le ou les voleurs en dispersant des vélos prêts à voler en ville et en disposant quelques policiers en civil à proximité. A la mi-juillet 2008 le piège se referme sur... Igor. Ce dernier se fait pincer avec un comparse, un sans-abri qu'il "employait" pour l'aider. La police déboule à nouveau dans son antre et découvre qu'on est loin du menu larcin et proche de la monomanie. Accrochez-vous. Après comptage, la police découvre que "Igor le Terrible" stocke 2865 vélos volés. 2865 ! Dont un tricycle... Le butin est tel que les pompiers doivent intervenir pour enlever les fenêtres de l'étage et littéralement désincarcérer des centaines de vélos. La police apprend bientôt aussi qu'Igor loue presque une dizaine de garages et tous sont pleins à craquer. La folie des grandeurs ! A juste titre la folle entreprise d'Igor sera qualifiée de "trou noir pour les vélos".

Igor devra répondre à pas moins de 58 chefs d'inculpation devant la justice canadienne. Il sera condamné à 30 mois de prison. Il effectuera 16 mois.

Aussi, l'arrestation d'Igor a fait naître chez bon nombre de cyclistes l'espoir de retrouver leur monture. Près de 15000 personnes déambuleront les yeux grands ouverts, parmi les vélos exposés par la police. Moins de 500 biclous retrouveront leur propriétaire et ,par la suite, les autres seront donnés pour une œuvre caritative.

Il est difficile de comprendre le mobile exact d'une telle entreprise. Certains ont avancé qu'Igor comptait mettre ces vélos en pièces et les revendre en comptant, en plus, jouer sur l'effet d'enchérissement provoqué par la pénurie de vélos dont il était lui-même responsable. D'ailleurs, dans son atelier, jouxtant les vélos, la police trouvera des douzaines de cartons d'antivols neufs... D'autres vont plus loin et évoquent l'attente d'une espèce de période post-pétrole-néo-apocalyptique attendue de manière imminente par Igor. Tout ça me semble presque aussi tordu qu'Igor. J'ai tendance à le considérer comme le plus grand collectionneur de tous les temps. Tout le monde sait que les collectionneurs sont des grands maniaques qui ne connaissent pas la notion de limite.

Voilà, vous êtes désormais familiers de l'univers d'Igor le Dracula du cycliste urbain, celui qui vide votre âme en subtilisant votre vélo, celui qui hante vos nuits quand, livides, vous vous demandez si vous avez bien verrouillé votre antivol.

3 commentaires:

ÈRÈLLE a dit…

Ce billet est-il une forme de catharsis ?
Renaud

La Tête dans le Guidon a dit…

Oulala non, mon but serai plutôt de me débarrasser de plusieurs de mes vélos inutiles... Sus à l'accumulation.

I bike Strasbourg a dit…

Je connaissais pas ce Messieurs et son histoire. Merci pour ce petit brin de culture vélo...