mardi 3 janvier 2012

Eloge du carburateur



Eloge du carburateur,
Essai sur le sens et la valeur du travail
Matthew B. Crawford
Ed. La Découverte
Trad. Marc Saint-Upéry


J'ai dévoré ce livre en quelques heures pendant les vacances. Une fois la première page ouverte impossible de le refermer.

Ce bouquin tient à la fois du parcours de vie et de l'essai de sociologie mâtiné de philosophie. Matthew B. Crawford était un "travailleur intellectuel". Parfaitement intégré à l'"économie du savoir" il dirigeait un think tank (le terme francophone de "boîte-à-idée" manque terriblement d'agressivité pour recouvrir la réalité de ce genre de structures) à Washington. Son avenir professionnel semblait tout tracé mais le démon de la mécanique qu'il refoulait depuis des années a refait surface. Matthew B. Crawford plaque son boulot pour ouvrir son propre atelier de réparation de motos.

Je dois évidemment avouer qu'un certain cousinage avec mon activité (après tout, les motos sont des vélos trop lourds sur lesquels il faudra bien un jour enlever la tumeur motorisée) a éveillé mon intérêt mais surtout, le bouquin embrasse un paquet de thématiques qui me sont chères. En vrac, l'auteur parle du manque de pertinence dans la césure travail manuel/travail intellectuel, de la dimension éthique d'un métier et de l'investissement personnel que cela implique, du passage souvent difficile de la théorie à la pratique, de la satisfaction du travail en autonomie, etc. La lecture du bouquin est aisée, les anecdotes et autres tranches de vie fourmillent et facilitent la compréhension des idées.

La seule critique que je puisse émettre est que parfois l'auteur a une vision quelque peu conservatrice. Il élève parfois les gens de métier et autres artisans au rang de derniers garants du "vivre-bien" au sein de la société de consommation. Point de vue que je suis loin de partager.

Il n'empêche ce livre n'est pas prêt de quitter ma table de chevet (carton de chevet serait plus juste) et, il était parfaitement approprié comme lecture de vacances, histoire de revenir au boulot avec une motivation débordante. Avant de terminer une petite citation s'impose :

"Ce que j'ai appris au long de ces années, c'est que le travail de mécanicien a un côté hasardeux et insaisissable qui le distingue fortement des mathématiques, même pour un expert chevronné.
Aristote peut ici nous être utile. Le Stagirite étend en effet le concept d'art, ou technè, pour y inclure les cas où nos efforts sont loin d'être infaillibles. Ce faisant, il nous indique une voie moyenne entre le fatalisme impuissant et son opposé, le fantasme de la maîtrise complète, mettant en lumière le véritable caractère de l'agir humain."

C'est parti, vous pouvez commencer à rédiger, je ramasse les copies demain matin.

3 commentaires:

Vicicle a dit…

Excellent définition des motos, enlevons-nous ses tumeurs!

lowikdelic a dit…

Hum cet Aristote parle rarement en touriste...
C'est une affaire importante que cette recherche du sens à travers le geste,
Je n'avais pu aussi m'empêcher de rendre compte de ma lecture de ce bouquin.
La thématique me travaille toujours autant, et j'y perçois une continuité dans le bouquin d'Albert Palma "Le peuple de la main" qui sous la forme d'un journal, rend compte de la portée, eh bien comment le dire autrement, métaphysique de faire partie du peuple de la main. Ça prend la forme d'une conversation avec le poète Henry Bauchau et de sa vision de la destinée d'Œdipe.
"Dès que la main prend part à la fabulation, dès que les énergies réelles sont engagées dans l'œuvre, dès que l'imagination actualise ses images,le centre de l'être perd sa substance de malheur"
Ceci est chipé dans le bouquin en question et c'est de Bachelard.
Pour l'anecdote ma vision de l'époque donc du bouquin du père Crawford http://lowikdelic.canalblog.com/archives/2010/11/23/19685448.html

La Tête dans le Guidon a dit…

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